La fin de la fiction des ''Esséniens''

Le Messie et son Prophète

Aux origines de l'Islam

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            La fin des « Esséniens »

 

Du 13 avril au 11 juillet 2010, la Grande Galerie de la BNF (Bibliothèque François Mitterand) expose quelques fragments de manuscrits provenant des grottes de la mer Morte et découverts dans les années 50. Moins anciens, on y voit également des codex ou des rouleaux de la Bible. Le livret de visite propose un parcours très pédagogique, et un feuillet présente les grands aspects de l’exposition.

C’est à la page 3 de ce feuillet que l’on trouve ce titre : fin du monopole et éclatement d’un dogme.

L’éclatement du dogme des « Esséniens »

Après avoir parlé de la mise à la disposition de tous les chercheurs des manuscrits, dès 1991, le texte enchaîne sur la fin d’un autre obstacle à la recherche scientifique : le dogme des Esséniens de Qumrân.

“Par ailleurs, les archéologues s’affranchissent de la thèse essénienne, grâce aux nouvelles découvertes archéologiques réalisées en Israël. Pour la nouvelle génération d’archéologues, l’absence de témoignages archéologiques sur les Esséniens est la preuve que cette thèse est erronée”.

Voilà enfin une grande institution qui diffuse auprès du public les conclusions auxquelles la recherche synthétisée dans Le messie et son prophète avait abouti il y a plus de cinq ans déjà. Dès 2005, son volume I expliquait non seulement pourquoi il est totalement impossible, du point de vue archéologique, qu’une communauté religieuse ait jamais habité le lieu des ruines de Qumrân, mais encore que les manuscrits étaient mal attribués.

La méprise ne venait pas uniquement du rapprochement indu fait entre les ruines et les manuscrits trouvés en contrebas – un rapprochement d’autant plus arbitraire qu’on avait trouvé des manuscrits en dix autres grottes, et que la mise en grotte des jarres à manuscrit devait être postérieure à l’abandon des lieux. Ce qui a joué aussi, ce fut la volonté de donner un substrat historique à la vieille légende des Esséniens, qui remontait à l’Antiquité mais avait déjà beaucoup servi au 18e siècle dans l’argumentation voltairienne contre l’originalité du christianisme.

Ainsi, durant cinquante ans, des postulats idéologiques ont pu faire taire la recherche archéologique qui allait en sens contraire ; pour celle-ci, avant d’être abandonnés, les bâtiments de Qumrân formaient un lieu de production de coûteux onguents, tirés des baumiers qui, à l’époque, peuplaient la région et donnaient la base des parfums féminins et des huiles utilisées au Temple. Ceux qui vivaient là étaient des gens riches (ce que prouvent les éléments de décoration trouvés sur place), mais il fallait, pour accréditer la légende, qu’au contraire ils aient été de pauvres moines occupés à recopier des livres dans un « scriptorium » sorti tout droit de l’imagination d’universitaires occidentaux (mais la presse y fut pour beaucoup aussi).

L’un des plus vieux partisans de cette fiction essénienne, André Paul, a changé de cap en 2007 ; l’expression « éclatement d’un dogme » est de lui. Le dogme commençait à se fissurer. Cependant on n’a pas encore assez vu que la fiction essénienne a nuit non seulement par elle-même mais en tant qu’elle empêchait de voir une réalité majeure pour l’histoire, à la manière dont un arbre peut cacher la forêt.

L’arbre qui cachait la forêt messianiste… et sa continuation en l’islam

Le problème, c’était le contenu ou, pour ainsi dire, l’idéologie dominante des manuscrits non bibliques trouvés dans les grottes. Par leur thèmes et leurs expressions, ils s’apparentent à divers textes apocalyptiques et sectaires que l’on connaissait depuis l’Antiquité ou que l’on avait découverts depuis un siècle ou deux. Or, ceux de ces textes qui appellent à prendre le pouvoir sur le monde pouvaient-ils être pré-chrétiens, surtout quand on y voit des rapports avec le Nouveau Testament , par exemple dans les Testaments des douze Patriarches? Le dogme « essénien » l’imposait (cf. tome I du Messie et son prophète). De ce fait, il empêchait d’entrer dans les subtilités de cette idéologie messianiste, et surtout, il la faisait disparaître durant la première « Guerre juive », lors de la destruction du site de Qumrân.

Cependant, les messianistes auteurs de ces écrits n’avaient à voir avec Qumrân ni même avec la région des grottes. Ils vivaient partout, avec ou sans règle stricte. Ils relevaient avant tout d’un état d’esprit religieux inspiré par la révélation biblique puis christique, et que l’on qualifierait aujourd’hui de « révolutionnaire ». Et, bien sûr, ils n’avaient pas disparu en 70 ; au contraire, c’est à partir de cette année marquée par la si choquante destruction du Temple, que leur « idéologie » politico-religieuse va se structurer, s’étendre et influencer des groupes loin des sources situées originellement en Terre Sainte, parmi des peuples et des cultures très divers. C’est là qu’intervient le lien avec l’Islam.

Ce lien n’est pas seulement une ressemblance idéologique « politico-religieuse », via un certain nombre d’avatars, comme on peut le dire de l’arianisme. Il s’agit d’une continuité beaucoup plus directe, due à l’action des descendants de ces premiers messianistes – les judéonazaréens. À l’époque du projet politico-religieux autour de Mahomet, ceux qui se voyaient en sauveurs du monde élus par Dieu n’étaient pas encore les Arabes mais ces judéo-nazaréens qui, depuis peu, avaient entrepris de rallier certains de leurs voisins arabes à leur projet fou de conquête du monde. Ce proto-islam, quoique occulté sous un formidable appareil légendologique, forme aujourd’hui encore le ressort de l’Islam. Le reste est à lire sur le site.

D’une certaine manière, la fiction « essénienne » a contribué à rendre plus incompréhensibles que jamais les origines historiques de l’Islam. On fabrique vite une contre-vérité, mais beaucoup de temps et d’efforts sont nécessaires ensuite pour en sortir. Une entrave à l’accessibilité de ces origines est en train de disparaître. D’autres obstacles sont apparus ou se sont renforcés entre-temps. Le travail continue. 

                                       

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