Réfléchir sur la perversion des mécanismes idéologiques

Le Messie et son Prophète

Aux origines de l'Islam

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           La malfaisance des idéologies de salut

 

Très souvent, face aux souffrances indicibles causées par les idéologies totalitaires, la question du « Pourquoi ? » est posée désespérément. Les explications trop humaines paraissent bien vaines. On évoque par exemple des désirs humains tels que celui de s’approprier les biens d’autrui ou celui de se venger, ou encore un manque de compréhension mutuelle. Si tel était le cas, il suffirait de se connaître davantage pour obtenir un monde meilleur où tout le monde se reconnaîtrait « frères », etc.

Sauf que les « frères » se tuent entre eux, si l’on en croit le récit de Caïn et Abel. Selon ce récit, Dieu n’agrée pas l’offrande de Caïn alors qu’Il agrée celle d’Abel (Gn 4,5) : la jalousie qui en découle a un motif religieux, et ne relève pas d’un désir humain ou d’une incompréhension. L’éclairage sur notre monde est comme donné à l’avance. Les idéologies, anciennes ou modernes, relèvent toutes du mode « religieux » au sens de l’implication d’un Absolu. L’idée même d’établir un « monde nouveau » n’admet aucun relativisme : si un tel monde meilleur est possible, il doit advenir absolument. Et l’histoire nous montre qu’il n’y a pas plus intolérant que ceux qui veulent imposer la « tolérance », de même qu’il n’y a pas plus totalitaire que ceux qui  veulent imposer la « liberté ».

Voilà bien un mystère pour les philosophes, qui admirent ces beaux idéaux tout en se demandant à quel moment ils ont dérapé. Comment de belles intentions, toujours sincères, peuvent-elles conduire à l’horreur ?

Ce que ces philosophes peinent à comprendre, c’est qu’il n’y a pas eu de dérapage. Les beaux idéaux sont pervers en eux-mêmes, dans la mesure où ils expriment une perspective de salut de l’Humanité. De telles perspectives échappent en soi à la rationalité, mais il convient justement de se poser rationnellement la question : d’où viennent ces vision d’une Humanité qui peut être sauvée et qui (donc) doit l’être ? Il n’y a jamais eu qu’une source, directe ou par étapes et avatars : le judéo-christianisme. C’est historiquement dans l’histoire du peuple hébreu et en Jésus de Nazareth que le sens du mal (le péché) et surtout du salut se sont manifestés ; il n’a pas fallu longtemps ensuite pour que les peuples de la terre en soient imprégnés (hormis ceux qui vivaient sans contact avec le reste du monde). Le judéo-christianisme ne promettait nullement un monde idéal à construire : le Royaume de Dieu, Dieu n’a chargé personne de l’instaurer en Son nom. Une telle idée surgit néanmoins très tôt, comme un détournement de la Révélation biblique. Dans la Bible (Ancien ou Nouveau Testament), on ne trouvera en effet nulle part d’appel au meurtre de ceux qui ne partagent pas la vision du Royaume, ni l’exaltation sectaire d’un groupe qui prétendrait détenir les clefs de l’avenir.

Telles sont les caractéristiques des visions de « foi » propres aux idéologies de salut, la thématique de ces idéologies pouvant être religieuse, anti-religieuse ou autre encore. Du point de vue du fonctionnement, il n’existe pas en effet de différence entre un discours qui invoque « Dieu » toutes les minutes et un discours qui le nie ou Le charge de tous les maux, pour autant que tous deux servent à justifier l’oppression, la terreur systématique, l’accaparement, les massacres et souvent les génocides.

Soyons clairs : tout projet de bâtir globalement un « monde meilleur » est pervers en soi et potentiellement génocidaire. Il appartient à Dieu seul – qu’on y croie ou non – de faire advenir un monde meilleur. Ce n’est pas sans raison que les promoteurs de tels projets se voient « divinisés »: créer une Humanité nouvelle est proprement « divin ». Que faut-il faire alors devant ou au milieu de populations élevées dans de telles idéologies de salut ? D’abord, ne jamais collaborer avec celles-ci. Ensuite, il est du devoir de tout homme digne de ce nom d’aider à en sortir ceux qui sont prisonniers de ces systèmes de salut, lesquels constituent un danger pour ceux qu’ils imprègnent comme pour le reste du monde. Ceci suppose une efficacité autre que celle de la force aveugle, qui est contre-productive et qui cache souvent une idéologie concurrente. Face à une emprise sur les esprits, les réponses efficaces se situent au plan des représentations mentales et affectives mais prennent leur source dans une dimension rationnelle qu’on appelait autrefois la « science des sciences »: la théologie. Car on ne peut pas se passer de l’analyse des « idéologies » (ou « religions ») de salut en tant qu’elles sont un détournement des perspectives de salut issues du judéo-christianisme. Cette analyse implique des approches scientifiques nombreuses, dont, en première place, l’histoire. Il s’agit de décrypter les récits, conceptuels ou mythiques, par lesquels les systèmes de salut se fabriquent des origines fictives pour occulter leurs véritables filiations – qui doivent être mises en lumière. Ceci vaut entre autres pour le marxisme. Qui connaît le cheminement spirituel du jeune Marx, qui entra dans une secte avant d’être gagné aux idéaux socialistes ?

Il ne suffit pas de dire : « plus jamais ça » en pensant à tel génocide ; si la cause déterminante de ces maux n’est pas dépistée et dénoncée, le pire adviendra. Il n’a pas cessé d’advenir.