« L'inimitabilité du Coran ?» Ce qui est écrit

Le Messie et son Prophète

Aux origines de l'Islam

L’inimitabilité” du Coran
Ce que le texte dit ou ne dit pas

extrait des Annexes

[Les renvois à un n° de note ou de paragraphe se réfèrent au livre]

Annexe D.4 : Versets coraniques et affirmations d’inimitabilité 

Selon la lecture qu’en donne la tradition islamique, trois versets semblent attribuer au texte coranique (donc à eux-mêmes) la qualité d’inimitabilité, ou, mieux, d’insupérabilité.

           L’insupérabilité (ijâz) du Coran califal est une vérité islamique établie par le grammairien ar-RummanÎ (m. 996), mais Dominique Urvoy signale que l’auteur irano-arabe Ibn al-Muqaffa (720-757) avait déjà été impliqué dans des polémiques concernant cette inimitabilité coranique[1]. Les trois versets qui servent d’argument sont les suivants : 
    
Produisez-donc une sûrah semblable [à celle- ci]” (s.10,38) ;
    Apportez donc une dizaine de sûrah-s façonnées comme celle-ci” (s.11,13) ;
    “Quand même hommes et djinns s’uniraient pour apporter le semblable de ce coran, ils n’en sauraient apporter le semblable,
      même s’ils se soutenaient les uns les autres” (s.17,88 – trad. Hamidullah).

         À côté de s.10,38, il faut mentionner s.2,23 qui est un quasi doublet mais qui fait appel à des témoins (humains – ce qu’on voit aussi ailleurs, cf. note 1172) :
    Et si vous êtes en doute sur ce que Nous avons fait descendre sur Notre serviteur, venez donc avec une sûrah
semblable et citez vos témoins” (s.2,23).

         La lecture musulmane imagine que le texte coranique renvoie à ses propres sourates, selon un procédé d’auto-désignation que les commentateurs musulmans justifient en le présentant comme miraculeux. On le sait (cf. 3.2.1.2), quand un verset comme s.17,88 évoque un coran, il se réfère à la traduction en arabe du lectionnaire judéonazaréen ; ce que l’auteur des feuillets coraniques exprime ici est simplement sa légitime fierté de traducteur car le lectionnaire-coran en arabe est au moins en partie son œuvre.
        Quant aux deux premiers versets qui évoquent une insupérabilité, ils rappellent des défis auxquels Moïse dut faire face ; le mot sûrah que l’on prend pour une allusion miraculeuse aux sourates du futur Coran désigne une section de livre (hébreu targumique, šurâ’), à moins qu’il ne s’agisse à l’origine d’un terme dont les consonnes sont quasiment semblables et qui correspond à l’hébreu biblique šîrah, cantique, pièce versifiée (cf. 3.2.1.1).

             Du reste, un verset devrait suffire à ouvrir les yeux :
      Apportez donc un écrit de la part de Dieu qui guide mieux que ces deux [écrits]-là, que je le suive !” (s.28,49).

          Ce sont deux livres et non pas un seul que l’auteur des feuillets coraniques déclare être les guides inégalables de tout vrai croyant ; il s’agit évidemment de at-tawrat wa l-injîl, “la Tôrah et l’injîl” selon une expression habituelle du texte lui-même (cf. 3.2.1.4.3). A lui seul, ce verset dément la lecture islamique du Coran – pour s’en tirer, les commentateurs sont obligés d’imaginer que les polythéistes mecquois connaissent la Tôrah et le Coran qui seraient les deux livres visés ici, c’est-à-dire un livre qu’ils sont supposés ignorer et un autre qui n’existe pas encore. 

Andrew Rippin a mis en lumière le parallélisme existant entre la notion théologique de "l’inimitabilité du Coran" et celle de "l’impeccabilité du Prophète" : toutes deux relèvent de la même préoccupation et de la même époque – tardive[2]. Jusqu’à aujourd’hui, cette notion d’inimitabilité constitue la réponse (il n’y en a pas d’autre) à ceux qui récusent le Coran ; comme en témoigne al-Kindî (cf. notes 667 et 1060), les Arabes ou arabophones chrétiens se sont moqués tôt de cette prétention, en montrant qu’il n’est pas difficile de composer de plus beaux vers arabes que ceux du Coran. Mais cela n’avançait à rien, au contraire ; car, ce faisant, ils se focalisaient sur le livre...


[1]  Urvoy Dominique, Les penseurs libres dans l’Islam classique, Paris, albin Michel, 1996, p.55-58.

[2]  Rippin Andrew, Muslims, Vol.1, London /New York, Routledge, 1990, p.26-27.41.

                                              
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