Des
fragments post-chrétiens dans la Grotte 4 ?
Parmi les manuscrits de la
mer Morte, certains fragments devraient susciter une attention spéciale :
ils sont nécessairement post-chrétiens, non seulement par leur date de
copie probable (ce qui est le cas de certains autres textes) mais surtout par
celle de leur composition. Et, à ce point de vue, ils sont même postérieurs à
l’an 70.
Les fragments présentés
ici sont tous issus de la Grotte 4, celle-là même qui se trouve à proximité du
site archéologique de Qumrân ; les manuscrits de cette grotte, s’ils ont
un rapport avec cimetière situé au-dessus, n’en ont pas pour autant avec les
ruines où l’on a supposé l’existence d’une éphémère communauté de moines (les
« esséniens »).
Les quatre fragments
présentés ci-après sont rarement cités moins encore rapprochés les uns des
autres.
1°/ 4Q179
Dans ce texte lacunaire, il est
vraiment difficile de voir une allusion à la destruction du Temple de Jérusalem
au 6e siècle avant notre ère ; il s’agit plutôt de celle qui
résulta de la guerre contre les Romains en 66-70 de notre ère. L’auteur qui est
un judéen rejette la responsabilité de cette guerre et de ses conséquences
désastreuses sur ceux qui ont fomenté l’insurrection – il s’agit d’un thème
cher aux judéo-nazaréens –:
“[…] tous
nos méfaits et nous n’y pouvons rien : car nous n’avons pas obéi […] Juda,
de sorte que tous ces malheurs ont fondu sur nous, par le mal […] son alliance.
Malheur à nous […] a été consumé par le feu et détruit […] notre honneur, et il
n’y a rien d’agréable, dans […] ses saints parvis sont devenus […] Jérusalem
ville du [sanctuaire a été livrée] à des bêtes sauvages, et il n’y a pas […] et
ses avenues […] tous ses beaux bâtiments sont désolés […] et il n’y a plus en
eux de pèlerins, toutes les cités de [Juda …] notre héritage est devenu semblable au désert
[…] nous n’entendons plus de cris de
joie, et [il n’y a plus personne] pour rechercher Dieu [… per]sonne pour guérir
nos plaies. Tous nos ennemis […] nos offenses […] nos péchés”
(4Q179 Fragment 1 / le fragment 2 est une longue lamentation –
cités in WISE Michael & ALII, Les
manuscrits de la mer Morte [New York, 1997], Paris, Plon, 2001, p.285-286).
2°/ 4Q
Florilegium
Des passages de ce texte utilisent les prophéties anciennes pour annoncer
la venue d’un descendant dont la royauté sera éternelle (d’autres textes
précisent qu’il devra régner sur toute la terre – pas seulement sur
Israël) ; il reconstruira le Temple, ce
qui suppose qu’il a été détruit : on est après 70. En fait de
« venue », il s’agit bien plutôt d’un « retour » matériel
ou d’une « seconde visite » selon l’interprétation que donnent les
judéo-nazaréens de l’attente du “Fils de l’Homme” (une expression du prophète
Daniel – voir 3°/– que Jésus emploie à propos de sa venue future). Ici, on voit
comment est utilisée et commentée la prophétie donnée par Nathan à David
(2Samuel 7,12-16) :
“Yhwh te déclare qu’il te
bâtira une Maison : Je vais susciter ta postérité après toi (2Samuel
7,12) ; Je vais établir son trône royal pour [toujours] (2Samuel 7,13) ;
Je serai son Père et il sera mon fils (2Samuel 7,14). C’est le Germe de David
qui va se lever avec l’interprétateur de la Loi [pour régner] à Sion [à la fin]
des jours, ainsi qu’il est écrit : Je relèverai la tente de David qui est
tombée (Amos 9,11). Cette tente de David qui est tombée, c’est celui qui se
lèvera pour sauver Israël” (4Q
Florilegium 10-13).
Plus loin, en référence à Zacharie 6,
cet écrit précisait encore que le
“Germe…
reconstruira le Sanctuaire de Yahweh” (4Q Florilegium 6,12b-13).
3°/ 4Q246 ou Pseudo-Daniel
Ce texte en araméen commente la
partie la plus apocalyptique de la vision du Prophète Daniel, spécialement
cette phrase : “Voici venir comme un Fils de l’homme… son empire sera un
empire éternel” (Dn 7,14). L’exploitation de cette vision de Daniel (Dn 7) est
habituelle dans la littérature apocalyptique, que les judéo-nazaréens
reprennent et complètent avec délices (c’est là tou spécialement que l’on
trouve la racine hmd du nom de Muhammad).
Le Messie- Fils de l’Homme- Fils de Dieu jouira de la force de Dieu pour
imposer partout sa domination guerrière : telle est la vision
judéo-nazaréenne.
“[Daniel dit au] roi :… Il sera grand sur la
terre. [Les peuples] feront la paix avec lui et tous [le] serviront. [Le fils
du grand Seigneur (?)] il sera appelé et de son nom il sera nommé. Il sera dit le fils de Dieu et le fils du
Très-Haut on l’appellera. Comme les comètes de la vision ainsi sera leur
règne ! Des années ils régneront sur la Terre et ils piétineront tout… Son
royaume est un royaume éternel… Le grand Dieu est lui-même sa force et fait la
guerre pour lui. Des peuples Il livrera dans sa main et eux tous Il (les)
jettera devant lui”.
(4Q246 dit Pseudo-Daniel 1,7-2,3.5.8 – texte reconstitué et traduit par PUECH Emile, Les manuscrits de la mer Morte et le Nouveau
Testament in Le monde de la Bible
n° 86, janvier-mars 1994, p.35).
4°/ 4Q161
Ce fragment d’un Commentaire d’Isaïe parle du descendant de David à venir, d’une
manière semblable au fragment précédent.
“[Un rejeton de] David qui fera son apparition dans
les derni[ers jours]… Et Dieu le soutiendra d’[un esprit] puissant [… et lui
donnera] un trône glorieux, [un] diadème [sacré] et des habits d’apparat…
sceptre dans ses mains, et il régnera sur tous
les G[enti]ls et même sur Magog [et son armée… tous] les peuples à son
glaive seront soumis”.
(4Q161 10,22-26 – cité in WISE Michael & ALII, Les manuscrits
de la mer Morte [New York, 1997], Paris, Plon, 2001, p.251).
Conclusion
/
Ces textes issus de la grotte IV apparaissent
indubitablement comme post-chrétiens. Y en a-t-il d’autres semblables parmi les
fragments non publiés, provenant soit de cette même grotte, soit d’une autre ? Pour
autant, ce serait une erreur que de prendre leurs auteurs pour des judéo-chrétiens.
En effet, ces textes ne manifestent pas du tout une foi judéo-chrétienne mais plutôt
la transformation de celle-ci en quelque chose qui, sans être pré-chrétien,
n’est pas chrétien pour autant. Car ils témoignent d’une ré-interprétation de l’espérance
chrétienne, qui devient l’espoir d’une domination politico-guerrière sur le monde
entier. Cette transformation radicale du judéo-christianisme forme le cœur du
judéo-nazaréisme dont la mise en lumière, qui a tant tardé, est l’objet de la
recherche présente.