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               Pour que vienne un monde nouveau ?

      Il convient de se rappeler le sens du mot martyr, étymologiquement témoin, qui désigne celui qui témoigne jusqu’à donner sa vie par amour de Dieu et des autres.

         Une difficulté se pose néanmoins: la définition islamique du martyr – šahid en arabe, étymologiquement témoin également – semble être la même : celui qui a donné sa vie pour la Cause, donc pour le Bien. À un détail près néanmoins : le chrétien donne sa vie en union à Notre Seigneur, qui est LE martyr par excellence. Cela fait toute la différence entre le modèle chrétien et le « martyr » islamique, illustrée actuellement par la proclamation de Mohamed Merah comme martyr de l’Islam, sur d’innombrables sites web (surtout en arabe).

         Rappelons les terribles faits. Le 11 mars, le soldat Imad Ibn Ziaten était assassiné froidement à Toulouse ; le 15 mars à Montauban, deux autres soldats de retour d’Afghanistan étaient tués de la même manière, Mohamed Legouane (musulman) et Abel Chennour (un catholique pratiquant) ; enfin, le 15 mars à Toulouse, Myriam Monsonego et deux autres jeunes enfants, Gabriel et Arich étaient abattus d’une balle ainsi que leur père, Jonathan Sandler, par le même tueur. Celui-ci, Mohamed Merah, expliqua plus tard avant d’être lui-même tué que, n’ayant pas trouvé de militaire ce jour-là, il s’était rabattu sur l’école juive. L’appartenance religieuse des soldats n’a joué aucun rôle, c’est leur appartenance à une armée présente en Afghanistan qui fournit le mobile – en plus de l’antisémitisme qui était latent chez Mérah.

         Notons que le même 11 mars, à Bruxelles, l’imam de la mosquée Rida (chiite) était assassiné par un sunnite qui, après son arrestation, ne cacha pas ses motivations anti-chiites : lui aussi voulait servir l’Islam, en référence à ce qu’il imaginait se passer en Syrie en se fiant à la désinformation répandue par les médias depuis un an – il ne sait pas que la majorité des ministres syriens sont sunnites (donc pas chiites). Et dans le même temps, en Syrie même, avaient lieu de terribles attentats à la voiture piégée (dont un dans le quartier chrétien de Damas), et, à Homs, après la reddition des jihadistes (venus de divers pays), on découvrait les restes des familles chrétiennes qu’ils avaient massacrés, hommes, femmes et enfants, et les massacres continuèrent aux environs de la ville par des groupes terroristes qui s’en étaient échappé (ceux que nos médias appellent les « opposants pacifiques ») – notamment le 20 mars, comme le racontent des témoins survivants. Il est normal que ce qui s’est passé chez nous ait un grand retentissement médiatique – et le fait qu’il y ait eu des victimes juives a multiplié ce retentissement. Mais, avec le recul, peut-on isoler les actes d’un Mérah, d’actes similaires advenus hors de l’Hexagone ?

         Certes les mobiles diffèrent quant à leur thématique. Mérah était focalisé sur la présence française en Afghanistan, et le tueur de Bruxelles était désinformé. Mais le plus important est ce qu’ils ont en commun : tous deux étaient convaincus de servir Dieu en éliminant des ennemis de l’Islam. Tous deux ont lu le Coran où, parmi de nombreuses incitations à tuer de tels « ennemis », on peut lire :

Dieu aime (du verbe aimer employé par les Arabes chrétiens) ceux qui vont jusqu’à tuer pour Lui” (61,4 – littéralement : sur Son chemin, le verbe tuer à la 3e forme signifiant aller jusqu’à… ou combattre à mort – et non simplement combattre, selon la traduction biaisée habituellement donnée aux Européens). 

         Mérah était-il aimé du Dieu de l’Islam ? Lors de l’éloge funèbre du soldat Legouane, à la grande mosquée de Lyon, le 22 mars, Azzedine Gaci, recteur de la mosquée de Villeurbanne, affirma qu’il faut éviter “d’établir un lien, qui s’apparenterait implicitement à une règle, selon laquelle la violence serait une donnée intrinsèque à l’islam”. Certes, le Coran n’exalte jamais la violence pour elle-même. Seulement, il explique en quelque sorte qu’on ne fait pas d’omelettes sans casser des œufs. Et la citation du Coran que donna Gaci, membre de l’UOIF, est significative, justement :

Celui qui a tué un homme qui lui-même n’a pas tué, ou qui n’a pas commis de violence sur la terre, est considéré comme s’il avait tué tous les hommes” (5, 32).

C’est la même que celle qu’utilisa Ahmed Jaballah, président de cette institution (l’Union des Organisations Islamiques de France) en vue de disculper l’Islam de toute violence. Mais elle veut dire autre chose, ce qu’une traduction plus littérale fait mieux apparaître :

Nous avons prescrit sur les enfants d’Israël que quiconque tuerait une personne – à moins qu’en échange (c’est-à-dire en prix pour le meurtre) d’une autre (personne) ou à cause d’un désordre (fasâd, corruption) [commis] sur la terre – rien d’autre, alors : c’est comme s’il avait tué tous les gens ensemble” (5,32 – trad. Hamidullah).

         Le verset 33 évoque précisément le sort à réserver à ceux qui créent le “désordre sur la terre” : “qu’ils soient tués, ou crucifiés, ou que leur soient coupées la main et la jambe opposées…” (5,33). En fait, le verset 32 signifie qu’il est licite de tuer les fauteurs de désordre et de venger le sang versé. Or, selon le Coran, ceux qui sont dits apporter le désordre sur la terre sont les juifs (Yahûd) ; vu le meurtre odieux d’enfants de cette confession, la citation était assez déplacée.

         Le problème de fond est donc bien la motivation des tueurs – Mérah et les autres –; elle pose un réel problème : Dieu a-t-Il chargé un groupe humain d’établir la société parfaite sur la terre, et donc d’éliminer ceux qui s’opposeraient à un tel programme ? Les analystes évitent soigneusement de soulever cette question, car ils seraient amenés à établir un parallèle non pas avec le christianisme mais avec les systèmes idéologiques athées qui ont également défendu un programme d’assainissement du monde. Ainsi, dans son éditorial délirant du Nouvel Obsevateur du 29 mars 2012, intitulé La religion et le meurtre, Jean Daniel justifie son athéisme en le présentant comme innocent face aux « religions » et termine même en traitant les “intellectuels religieux” de “missionnaires de la mort” ; on croirait entendre une diatribe soviétique ou nazie contre les chrétiens. Oublie-t-il que l’athéisme du 20e siècle a causé la mort de plus de deux cent millions d’êtres humains, et souvent dans des conditions atroces ?

         L’islam se dit “religion d’amour et de paix”, selon la rhétorique de propagandistes tels que Jaballah ; l’athéisme se pose également en garant de l’avenir et de la convivialité. Faut-il donc que, pour se disculper, le second tienne le même discours que le premier ? Certes, il n’est pas souhaitable de s’appesantir sur les crimes du passé, dont les hommes d’aujourd’hui n’ont aucunement à porter le poids. Mais en rappeler les enjeux est nécessaire pour démasquer les prétentions actuelles visant à faire advenir un monde nouveau : ici joue la responsabilité des contemporains. Car ces prétentions de salut s’avèrent criminelles tôt ou tard car elles absolvent par avance les crimes qui seront faits en leur nom.

         Il n’y a qu’un qui soit parfaitement innocent et qui soit Témoin véridique du Bien et source du Salut : Notre Seigneur. Toute contrefaçon sera toujours délétère.

Édouard-Marie Gallez