Recherches et impasses en islamologie - retour de Issa

Le Messie et son Prophète

Aux origines de l'Islam

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The Hidden Origins of Islam :

recherches et impasses 

Début 2010, un livre collectif dirigé par Karl-Heinz Ohlig et Gerd-Rudiger Puin paraissait à New York sous un titre ambitieux : The Hidden Origins of Islam. New Research into Its Early History (Prometheus Books, 2010, 405 pages / trad. Die dunklen Anfänge. Neue Forschungen zur Entstehung und frühen Geschichte des Islam, Verlag Hans Schiler, 2005).

Puin n’est pas à présenter ; il est connu pour mener des recherches sur les photos de fragments de « textes coraniques » qu’il a pu ramener de Sanaa (Yémen) – ces photos aussi bien que ses études n’ont fait l’objet d’aucune publication à ce jour. Pour sa part, Karl-Heinz Ohlig s’intéresse à l’Islam depuis 2000. Il est un exégète du Nouveau Testament marqué par la théologie du protestantisme libéral ; ses positions sont partagées par deux contributeurs essentiels de l’ouvrage, Volker Popp et, partiellement, le professeur Christoph Luxenberg.

Du fait de ces trois auteurs, le livre  développe une thèse bien précise relative aux origines de l’Islam. Durant près de deux siècles, les Musulmans n’auraient pas été musulmans mais des chrétiens ayant conservé une vision de foi originelle – à la manière dont l’Islam voit Jésus aujourd’hui encore. La question soulevée n’est pas une question d’appellations ; certes, jusqu’au 8e siècle de notre ère, les mots « islâm » et « muslimun » voulaient simplement dire « soumission » et « soumis » – les « musulmans » s’appelaient alors « muhajirun », littéralement « ceux qui ont fait l’Hégire » (vers Médine en 622 avec Mahomet, mais historiquement non en venant de La Mecque – hajr, rac. migrer) ; justement Volker Popp semble ignorer cette appellation primitive (p.40). La question porte plutôt sur l’existence supposée d’un courant de « christianisme arabe pré-nicéen » ou primitif, au sens d’antérieur au Concile de Nicée de 325. Selon les trois auteurs héritiers de l’Aufklärung et de Voltaire, la foi chrétienne actuelle aurait été fabriquée par ce Concile, mais un courant pré-nicéen arabe aurait continué à porter à travers les siècles la vision de Jésus qu’aura précisément l’Islam – puisque, supposent-ils, l’Islam n’a pu naître que dans un cadre exclusivement arabe. On pourrait objecter immédiatement à ce fragile écheveau de postulats qu’alors, le nom de Jésus en arabe ne devrait pas être déformé dans le Coran (on y trouve toujours ‘Îssa au lieu de Yassû‘). Regardons leurs arguments.  

L’argument proposé par Christoph Luxenberg

De ce christianisme arabe hétérodoxe il n’existe aucune trace concrète, sauf celle que certains des auteurs veulent voir dans une mention inscrite sur le Dôme du Roc à Jérusalem. C’est ici qu’intervient Christoph Luxenberg. Connu pour son livre Die syro-aramäische Lesart des Koran (paru en 2004), ce chercheur syriaque (il a pris un nom de plume) voulait montrer que les textes formant ce qu’on appelle aujourd’hui le Coran sont la traduction d’originaux écrits en araméen (ou en syriaque). Certains versets obscurs, en effet, retrouvent un sens évident quand, débarrassés de leur diacritisme (dont les textes coraniques les plus anciens sont dépourvus), les lettres nues, qui peuvent être lues de diverses manières, permettent une lecture selon l’araméen qui donne du sens. La moitié des exemples avancés par Luxenberg est totalement probante ; l’autre non. En réalité, ce qu’il démontre, ce n’est pas l’existence d’un texte antérieur en araméen, mais simplement le fait que l’auteur des feuillets du futur Coran (ou les auteurs parmi lesquels un prédicateur émerge) est nourri de culture araméenne : il s’exprime en arabe pour convaincre des Arabes, mais pense en araméen.

On est donc loin du postulat d’un cadre de naissance purement arabe de l’Islam (ou du premier Islam). Pourtant, ses recherches ultérieures vont aller dans un autre sens, à cause d’une inscription du Dôme du Roc (côté interne) mentionnant le mot « muhammad ». Ce mot ne serait pas à lire comme un nom propre (Mahomet selon le français) mais comme une forme verbale signifiant « loué » et adressée à… Jésus. Ce Jésus serait seulement reconnu comme « prophète » et « messager », selon ce que l’inscription indique (voir ci-après) ainsi que le texte coranique évidemment. À un détail près : le Coran définit onze fois Jésus comme Messie, ce qui est bien autre chose qu’un messager ou qu’un prophète ; pourquoi ne pas le mentionner ? Est-ce parce qu’il serait impossible d’expliquer un tel titre de Messie dans le cadre d’un « christianisme arabe primitif »?

Voici comment l’inscription “muhammad[un]abdu Llahi wa-rasûluhu” est traduite : “Loué soit le Serviteur de Dieu [= Jésus] et [= il est aussi] Son messager” (p.127). Cette lecture n’est pas évidente – “wa-rasûluhu” gêne. La lecture habituelle est simplement : “Mahomet est le serviteur de Dieu et Son messager”. Le fait que « Serviteur de Dieu » soit une expression biblique qui ait été appliquée à Jésus (à cause de sa signification en Isaïe 52-53) n’est pas un argument en faveur de la première interprétation. Ce titre n’était aucunement une nouveauté pour les Arabes (chrétiens): il a donné le nom chrétien de ‘Abdallah, habituel parmi eux avant l’Islam.

Certes, le fait de lire « muhammad » comme participe correspond à ce qui a pu être son usage en arabe peu avant qu’il devienne un nom propre. Mais de là à repousser la création de ce nom à plus d’un siècle, il y a un pas, d’autant plus que des sources non musulmanes contemporaines le citent déjà : d’où tirent-elles alors que « Mahmet » est un chef de guerre arabe ? L’absence apparente de ce « nom » (qui est un surnom) en milieu islamique jusque dans les années 680 s’explique de manière évidente sans recourir à l’hypothèse d’une création : des raisons évidentes ont amené les premiers Califes à « oublier » la période de leur dépendance à l’égard des Judéo-nazaréens et donc aussi le souvenir de leur chef de guerre décédé en 632.

De plus, comment l’hypothèse d’un christianisme arabe pré-nicéen ne serait-elle pas contradictoire avec les (très nombreuses) indications relatives aux liens avec le monde araméen chrétien, ce dont le Professeur Luxenberg donne lui-même des éléments ? Et il y a encore une autre difficulté majeure, tenant au Dôme du Roc lui-même, et exposée dans le livre même, dans la contribution d’Alfred-Louis de Prémare († 2006). À la page 191, l’air de rien et avec sa gentillesse et son érudition habituelles, il évoque une autre inscription du Dôme, située elle à l’extérieur, sur la porte nord :
 
Nous croyons en Dieu, en ce qui est descendu sur muhammad et en ce que les prophètes ont reçu de la part de leur Seigneur, sans faire de distinction, et à Lui nous sommes redevables”.

Dans ce texte (qui apparaît aujourd’hui comme un mixte des versets 136 et 185 de la sourate 2 al-Baqarah), le vocable « muhammad » ne peut qu’être un nom propre. Dès lors, peut-il en être autrement de l’autre inscription, sur la face interne du même Dôme ? Existe-il des raisons de penser que, sur la face externe, les inscriptions auraient été changées (hormis le nom de ‘Abd al-Malik qui a été remplacé par celui d’un successeur, Al-Mamûn) ?  

Les autres arguments

Face à ces objections majeures, que reste-il pour étayer le « christianisme arabe primitif » ? On veut invoquer les discussions théologiques d’avant le 7e siècle qui ont porté sur les manières d’exprimer (en des langues diverses) le mystère du Christ Jésus Sauveur, entre les tendances « monophysites » (son humanité est absorbée par sa divinité) ou au contraire di-physites ou « nestoriennes » (deux « natures/personnes » co-existent en lui, l’une humaine, l’autre divine). Mais en aucun cas, ces discussions n’ont porté sur la reconnaissance du personnage historique de Jésus comme Sauveur manifestant Dieu venu visiter Son peuple. Y voir des conceptions antagonistes de la foi chrétienne est aussi vain que d’imaginer que les diverses écoles juridiques en Islam aboutissent à des « fois » islamiques différentes ou à des interprétations antagonistes du Coran.

Les quelques autres arguments sont-ils plus convaincants ? Est pris à témoin le fait que les envahisseurs arabes ont été bien accueillis en Egypte, où les Byzantins s’étaient fait mal voir pour diverses raisons. L’argument est d’autant plus pauvre que, concernant 640 déjà – l’année de l’installation de garnisons arabo-musulmanes –, “selon Jean, évêque de Nikiou, témoin de l’invasion arabe, ‘Amr commet des massacres à Behnassa, à Fayoum, à Alexandrie… souvent sur des civils qui ne prennent part à aucun combat”, note Magdi Zaki dans son Histoire des Coptes (Paris, 2005). Les massacres et les révoltes anti-arabes qui émaillent les premiers siècles de l’occupation islamique ne corroborent pas la thèse du livre.

Dans le même ordre d’idées, Popp tente d’éviter l’objection des campagnes récurrentes contre Byzance de la part des premiers Califes : pourquoi de supposés chrétiens iraient-ils attaquer d’autres chrétiens ? Pour justifier la détermination (pour lui inexplicable) de détruire Byzance, il fait appel plusieurs fois au désir de vengeance “emprunté aux Perses” par les nouveaux maîtres arabes du Proche-Orient.

De la même manière, le caractère arabe de l’Islam fait problème en tant qu’il s’est affirmé très tôt (du moins depuis la fin du règne de ‘Umar) : nos auteurs allemands ne comprennent pas pourquoi un projet de domination arabe est apparu si tôt et donc estiment très tardive cette dimension ethnique. Mais ont-ils perçu l’idée messianiste de « peuple choisi pour gouverner le monde au nom de Dieu », qui est fondamentale dans le Coran ? Il est vrai qu’à l’époque des prédications coraniques, ce ne sont pas les Arabes qui y sont désignés comme ceux qui ont été choisis par Dieu à une telle fin : ils sont alors seulement ceux qui doivent aider les vrais « fils d’Israël », en tant qu’ils sont leurs cousins « fils d’Ismaël ».  

Des impasses auxquelles on n’échappe pas

Enfin, toujours selon Volker Popp, la numismatique étayerait sa thèse. Certaines monnaies africaines du 8e siècle indiquent : Non est Deus nisi unus cui non socius alius similis. Pour lui, une telle inscription serait le signe de « la présence de Monophysites, de Monarchiens [une variante des précédents], de Nestoriens [qui partagent la foi de tous les précédents en la Trinité] et d’Ariens [niant la Trinité et opposés à tous les autres] parmi les habitants de l’Afrique [du Nord romaine]  » (p.80). Excusez du peu : pourquoi ne pas y ajouter aussi des extra-terrestres ? Certes, le mot « trinité » n’existe pas dans le Nouveau Testament car il s’agit d’une expression conceptualisante par définition postérieure ; mais les expressions de foi trinitaires y abondent. Et ce Nouveau Testament, commun à tous les chrétiens, n’a jamais fait l’objet de dissensions entre les diverses Communautés ecclésiales. Les Ariens en revanche n’acceptent pas cette foi trinitaire.

Quant au texte même de la monnaie citée (Il n′y a de Dieu qu′un seul et Dieu n′a pas d′associé), il s’agit clairement de la Shahada islamique primitive c’est-à-dire avant qu’elle ait intégré l’affirmation du prophétisme de Mahomet à la place de « Dieu n’a pas d’associé » – qui est alors supprimé pour éviter à la « profession de foi » une forme qui deviendrait… trinitaire (= à 3 termes). On a retrouvé divers témoignages archéologiques de ces professions de foi primitives... binaires dont l’une n’est justement pas binaire mais trine, avec le prophétisme de Mahomet en troisième terme (« Il n′y a de Dieu que Dieu et Dieu n′a pas d′associé et Muammad est son messager » –cf. Le messie et son prophète, 2005, t.I, p.489-500) !

Par ailleurs, ne pas connaître – ou en tout cas ne pas signaler – ce que les Pères de l’Eglise disent des « nazaréens /ébionites » est une autre lacune. Quand on connaît ces textes, l’idée d’un « christianisme primitif arabe » devient superflue, et il en est de même quand on analyse ce qui est dit de ces « nazaréens » dans le texte coranique, où certaines manipulations sont évidentes à propos d'eux (un article est paru à ce sujet dans une revue allemande 1). Avec raison (p.191), Alfred-Louis de Prémare rappelle que (selon le sens originel du Coran) l’appellation des chrétiens est celle « d’associateurs » (mushrikun).

Il convient encore de signaler la contribution de Sergio Noseda relative à l’influence sassanide sur l’écriture arabe. À un moment, il mentionne les quatre premiers versets de la sourate 30 ar-Rûm (p.288), mais selon une lecture non exégétique. Il y a plus de cinquante ans déjà, dans sa traduction du Coran, Régis Blachère avait mis en lumière la voyellisation fautive et intentionnelle de ces versets, dans le but de détourner l’attention de l’histoire réelle de Mahomet axée sur Jérusalem, et de la rediriger vers La Mecque et son récit fabriqué des origines de l’Islam 2. L’auteur, lui, est focalisé sur le sud de l’Arabie où la légende islamique situe les origines de l’Islam, ce qui lui pose un problème : pourquoi les musulmans ont-ils abandonné leur écriture (supposée avoir été) sud-arabique pour celle qu’on connaît par les copies anciennes du Coran et qui est nord-arabique ? Il postule l’action d’un
 
comité auto-proclamé de sages réunis avec l’intention de créer une écriture arabe et, avec beaucoup de bonne volonté, de fournir à leurs propres peuple et langue une écriture différente de celle des peuples environnants” (p.301).

Sauf que cette écriture arabe n’a pas été inventée : elle existait déjà ! On en a trouvé des exemples (gravures et grafiti) en Arabie du nord (Syrie, Néguev, …). Et ces documents archéologiques sont clairement antérieurs à l’époque islamique. Pourquoi, contre toute évidence, continuer à prétendre que les Arabes qui sont partie prenante du proto-Islam venaient d’Arabie du sud, alors que tout indique que leur lieu de vie était la région arabe du nord, qui recoupe la région syrienne et qui est insérée dans le monde araméen de l’époque  ?

Au final, hormis en diverses remarquables contributions (en particulier celle d’A.-L. de Prémare – en voir ici sous peu une recension), le livre donne l’impression de développer des hypothèses savantes mais peu étayées rationnellement. Cela est d’autant plus navrant que la mise en cause du discours islamique concernant les origines de l’Islam et du Coran s’impose et est remarquablement faite par plusieurs auteurs. Les promesses ne sont pas tenues. Le pire serait de décrédibiliser ainsi la recherche islamologique.

Positivement, il est possible de tirer deux conclusions :
 
Même si le caractère « arabe » des prétentions mondialistes de ce qui ne s’appelle pas encore « l’Islam » apparaissent très tôt (en fait, dès la fin du règne de ‘Umar), ce « proto-islam » n’a pas des origines arabes ;
 
il est impossible que ce « proto-islam » se soit situé en Arabie du Sud avant que les circonstances ne l’aient obligé à trouver un refuge à l’oasis de Yathrib-Médine en 622.

Ed-M Gallez

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1 « Gens du Livre » et Nazaréens dans le Coran : qui sont les premiers et à quel titre les seconds en font-ils partie ?, in Oriens Christianus, Band 92, 2008 z.174-186. Voir également ici.

2 Blachère Régis, Le Coran, Paris, 1957, p.429-430. La question est exposée ici.

                                       
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